[Compte-rendu] 4e Rencontres nationales des budgets participatifs
"Le budget participatif renforce-t-il la démocratie locale?"
Les jeudi 7 et vendredi 8 novembre 2019 ont été organisées par la mairie de Paris les 4èmes Rencontres nationales des budgets participatifs. On compte, aujourd’hui, plus de 200 collectivités locales qui mettent en place un budget participatif, des villes aux départements en passant par les métropoles.
Nous vous proposons de revenir ici sur la conférence « Le budget participatif renforce-t-il la démocratie locale ? ».
Lors de cette conférence, étaient invitées à discuter Ilaria Casillo, vice-présidente de la Commission nationale du débat public, Hélène Balazard, chargée de recherche et d’enseignement à l’École nationale des travaux publics de l’État et Khedidja Mamou, maître de conférences à l’ENSA Montpellier, cofondatrice de l’association APPUII (Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international) et du réseau SUD/Pratiques et pédagogies coopératives. Cette conférence a mis l’accent sur les publics dits « éloignés » de la participation.
C’est sur cette problématique qu’Ilaria Casillo a débuté son intervention, en évoquant la notion de « publics absents », c’est-à-dire les publics éloignés de la vie politique, qu’elle met en opposition avec les « publics forts ». Ces derniers sont ceux qui « sabotent » les processus participatifs en négociant à d’autres niveaux et en ne participant pas aux concertations. Il s’agit, par exemple, de certains grands acteurs économiques. On ne retrouve donc pas ces deux publics dans les arènes de la participation citoyenne. Ilaria Casillo a soutenu que leur non-participation est une des difficultés auxquelles font face les budgets participatifs et autres processus de participation et qu’il est important de ne pas la minorer.
Elle a ensuite insisté sur le fait que la participation n’est pas que le dialogue. Elle vise à infléchir les décisions par l’information complète et contradictoire des citoyens qui délibèrent et éclairent les décideurs. Il y a alors un partage de la décision (et non un partage du pouvoir). Le citoyen apporte une expertise que n’a pas, ou peut ne pas avoir le décideur. La participation, dès lors, ne s’improvise pas et nécessite d’être organisée. On mesure l’ambition du décideur d’abord par un critère très terre-à-terre qui est celui de l’investissement financier.
Lors de la mise en place de son budget participatif, Paris a décidé d’en allouer une partie aux projets dans les quartiers populaires. Ilaria Casillo n’a posé aucune objection à cette allocation spécifique si ce n’est que les acteurs à l’origine du budget participatif doivent réfléchir à la trajectoire qu’ils veulent pour ces quartiers et jusqu’où ils veulent appliquer une trajectoire différente. Elle a soutenu qu’il serait préférable de ne plus penser en zonage à terme et de proposer un horizon unique.
Puis, elle a souligné ensuite que le budget participatif est l’un des projets les plus ambitieux en termes de démocratie participative car il touche aux ressources, le point central de la vie d’une collectivité et de son organisation. Il souffre toutefois des mêmes faiblesses que les autres processus de participation, dont la difficulté à toucher des publics diversifiés (par exemple, la jeunesse qui est elle-même un public divers).
Enfin Ilaria Casillo a conclu sur un sujet jugé primordial pour l’amélioration de la démocratie locale : il faut rendre des comptes. Elle a, en effet, constaté que cela n’était pas assez fait dans les collectivités. Rendre des comptes signifie qu’il faut exprimer et expliquer au public tout au long de la démarche à quoi celle-ci sert, quelles sont les limites imposées par le décideur et donc jusqu’où il s’engage, et pour quoi les décisions sont prises. En somme, le public attend une réciprocité des attentes et des devoirs.
Hélène Balazard a poursuivi en faisant le constat des déséquilibres des pouvoirs politiques au sein même de la population. Généralement, ceux qui participent sont plutôt les cadres supérieurs. Il y a une inégalité sociale, mais aussi politique dans ce constat du déficit de la participation. Elle est revenue sur la question des projets de budgets participatifs dans les quartiers les moins favorisés. Comment fait-on pour ne pas renforcer ces inégalités ?
Hélène Balazard a proposé plusieurs pistes : déployer des moyens humains pour aller vers les personnes qui ne vont pas participer spontanément. Elle a évoqué le cas des community organising outre Atlantique, où un organisateur va vers les citoyens qui se rassemblent ensuite pour identifier des problèmes communs et construire des solutions ensemble. Ce sont les « petites sociétés » décrites par Alexis de Tocqueville après son voyage en Amérique et sur lesquelles la grande société doit se baser pour se construire. En France, Révolution française a aboli ces petites sociétés. Or elles peuvent être un des éléments d’auto-organisation pour pouvoir construire ensemble.
Hélène Balazard a soutenu qu’il ne fallait fermer aucune porte et au contraire, aller en ouvrir. Dans le cas du budget participatif, si l’on rejette une proposition d’un citoyen, il faut aller vers lui s’expliquer et proposer des moyens pour travailler ensemble. Elle a aussi souligné que le risque d’un outil institutionnalisé est de se retrouver face à des propositions qui sont hors du cadre et vues par l’organisateur comme une remise en cause du cadre lui-même. Ces propositions doivent plutôt être comprises comme un acte d’émancipation de l’acteur citoyen.
Elle a aussi proposé de repenser le rôle de l’élu qui n’est plus de valider un projet ou un choix. Dans le budget participatif, il y a une ambition plus forte : celle de mettre encore plus en capacité les habitants par le partage du pouvoir. De même pour les services techniques : les agents doivent réfléchir à nouveau à leur rôle et changer de postures car ils sont aussi en première ligne dans le dialogue citoyen, puisqu’ils discutent avec les porteurs de projets et facilitent ou animent le budget participatif.
Elle a fini ses réflexions en évoquant le rôle que l’école doit avoir dans la participation. En effet, l’école de la démocratie doit être repensée pour former des citoyens non pas passifs, mais participants. Il existe déjà un enseignement d’éducation civique, il faut le voir comme une opportunité pour développer la capacité créatrice des jeunes citoyens en devenir sur des sujets pratiques et concrets : on peut imaginer un budget participatif dans chaque école à cet effet.
Khedidja Mamou a d’abord défini sa position : elle se considère comme universitaire praticienne et engagée, c’est-à-dire qu’elle contribue à changer les choses.
Ses travaux concernent les projets de rénovation urbaine, qui ont augmenté de manière exponentielle depuis le début des années 2000. Il y a un lien très important avec ceux qui participent le moins puisque ces projets les concernent en premier lieu. Pour décrire le sentiment des habitants face à ces projets, elle reprend des mots qu’elle a entendu d’un habitant : « l’humain avant l’urbain ». Ces habitants ressentent en majorité ces projets comme une menace forte, car beaucoup sont ensuite contraints de quitter leur logement du fait de l’inflation des loyers. Il y a donc un fort sentiment d’abandon des pouvoirs publics.
Dans ce cadre, la chercheuse a fait le constat que les dispositifs participatifs ne mettent pas en place des conditions nécessaires à la concertation, car les collectivités locales et bailleurs sociaux souffrent des contraintes imposées par l’agence nationale de l’orientation urbaine qui dicte les principes forts des projets pour allouer des financements et qui résultent en la démolition de logements sociaux. Face à cela, les habitants donnent une autre injonction : ils demandent de participer au devenir de leur quartier. De plus en plus de collectifs d’habitants se montent et revendiquent la volonté de dépasser le simple savoir d’usage pour aller vers une expertise d’usage, voire d’une expertise citoyenne. Les habitants veulent être acteurs et revendiquent qu’ils sont force de propositions au même titre que les experts. Ils sont capables de penser des projets de qualité. L’écoute est alors centrale dans la question de la participation. Si des freins sont constatés alors que la population se mobilise lors de la concertation, ces publics tendent à perdre confiance, d’où un déficit de la participation. Par exemple, certains habitants de quartier manifestent leur ras-le-bol quand ils observent qu’ils en sont à la troisième ou quatrième rénovation urbaine. Ils ont le sentiment de subir et de ne pas avoir prise sur les transformations de leur quartier. Ils pensent que les projets sont déjà décidés, que l’institution est déjà détentrice du projet, que les habitants n’ont pas la possibilité de prendre parti ou que l’information leur est cachée. Ils n’y croient plus.
Ce déficit est aussi dû à un amalgame qui apparaît lorsqu’on met en place les critères de la bonne participation. La chercheuse constate qu’au niveau institutionnel, le critère principal est le nombre. Or elle pense qu’il faut favoriser la qualité des contributions à la quantité et qu’il faut poser la question de la représentativité des personnes qui participent. L’un des freins à cette représentativité est de ne pas atteindre des publics spécifiques. Marion Carel l’explique en reprenant le concept du cens caché de Daniel Gaxie pour montrer qu’une partie de la population, en général des individus au capital culturel moins important, se sentent illégitimes à participer et s’opèrent à eux-mêmes une censure.
Khedidja Mamou a proposé trois directions pour repenser la participation. La première concerne les postures, qui contrairement aux outils, doivent faire leur preuve. On doit se questionner : sur quoi doit porter le participatif ? Est-ce ponctuel ? Est-ce une modalité d’action ? Une façon de travailler ? Doit-on donner les moyens aux habitants d’inscrire à l’agenda politique des questions ?
La seconde concerne l’organisation des conditions mêmes de la participation : il faut mettre en place les conditions pour qu’une zone de contact se dessine de manière plus apaisée. Certains parlent de participer, d’autre de faire participer. Il faut réapprendre à travailler ensemble. Il faut réarticuler participer et faire participer.
La dernière direction est de donner le temps long nécessaire à la participation. D’habitude, plus on y croit plus on met d’argent ; de même plus on met de temps, nécessaire pour instaurer le dialogue, plus on réinstaure la confiance. Toutefois temps long ne signifie pas avoir des dispositifs participatifs longs. Au contraire, il faut articuler les différents dispositifs pour avoir une participation qui n’est pas une offre ponctuelle mais bien plus une politique qui se donne les moyens nécessaires.
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