[Retour d'expérience] Grand débat : des synthèses alternatives.
Le Grand débat national : le « in » et le « off » (II)
Les enjeux de la synthèse et les synthèses alternatives
La Journée de la civic tech et de l’engagement citoyen, organisée par Décider Ensemble au CESE le 18 mars 2019, en lien avec la conférence internationale TICTeC 2019, a été l’occasion pour les acteurs français de la civic tech et de la participation citoyenne de se retrouver pour collectivement dresser un état des lieux du contexte français. Alors que le Grand Débat National touchait à sa fin, c’était le moment de réaliser un premier bilan de cette expérimentation et de ses déclinaisons dans les territoires. Nous avons consacré une première série d’articles au dispositif institutionnel du Grand débat national, présenté par les acteurs qui y ont participé. Vous pouvez retrouver ces articles ici : Partie I, Partie II, Partie III, Partie IV. La deuxième table-ronde de la journée s’intitulait « Autour du Grand débat : la place des civic tech » et a vu intervenir Claire Legros, Yvan Lubraneski, Julie de Pimodan, et Valentin Chaput. Cet article est le deuxième d’une série de blogs qui présentent les conclusions de cette table-ronde. Retrouvez les autres articles ici : Partie I, Partie III, Partie IV.
Ayant déjà évoqué l’enjeu de la transparence, Valentin Chaput, co-fondateur de Code For France, a souligné que le point le plus sensible du Grand débat était la synthèse qui serait faite à partir de toutes les contributions. Pour Claire Legros, journaliste du Monde spécialiste de la participation numérique, l’enjeu principal de la synthèse serait celui d’une gouvernance indépendante : « qui la pilote, comment on en garantit l’indépendance et quels sont les outils et les méthodes choisis ». Or, elle a constaté que « tel que le Grand débat a été posé, la question de l’indépendance n’a pas trouvé une réponse adaptée ». Elle a regretté que la synthèse ne soit pas été réalisée par une instance indépendante, qui ne serait donc pas liée au gouvernement.
Plus directement sur la réalisation de la synthèse, tant Valentin Chaput comme Claire Legros ont signalé un deuxième enjeu, concernant le nombre de contributions à prendre en compte. Tous les deux ont reconnu l’existence d’une grande variété d’outils et de plateformes où les citoyens se sont exprimés pendant le Grand débat. L’inclusion ou exclusion de ces contributions aurait donc un impact critique sur la représentativité. Valentin Chaput a rappelé qu’on avait très peu évoqué Facebook, alors que 30 millions de français y ont un compte et que le réseau social a été le point de départ des Gilets Jaunes. De même, Claire Legros a cité l’initiative Entendre la France, un chatbot (robot de conversation) développé pour récolter des contributions au Grand débat à travers Facebook Messenger. Reconnaître la validité des contributions effectuées au sein de ces plateformes aurait permis d’assurer, selon eux, plus de représentativité dans la mesure où elles émanaient de publics différents qui n’avaient pas forcément utilisé la plateforme officielle. En revanche, ignorer l’analyse des expressions qui se sont produites dans le « off » risquerait de rendre des résultats biaisés en faveur des participants officiels.
En effet, Valentin Chaput a remarqué le fait que l’ensemble de participants officiels n’est pas un échantillon dont on puisse assurer la représentativité scientifique, ni de par sa taille ni de par sa composition. Lors de la table ronde précédente, Isabelle Falque-Pierrotin, garante du Grand débat, avait estimé que moins d’un pour cent des français avaient créé un compte sur la plateforme et qu’une dizaine de milliers s’étaient déplacés dans les rencontres. Partant de la base qu’une synthèse n’est jamais neutre ni objective, à moins d’être purement quantitative, Valentin Chaput a mis l’accent sur la nécessité de faire attention aux méthodes d’analyse des contributions. Puisque la nature des contributions rend impossible un traitement purement quantitatif, l’analyse devrait être essentiellement qualitative. Or il a averti que « le problème de la synthèse qualitative est qu’elle est soumise à énormément de biais, qui sont les biais des analystes, et si en plus on ne connaît pas leurs méthodes et on ne connaît pas leurs outils, cela pose à nouveau un certain nombre de questions ».
Face à ces risques, plusieurs initiatives citoyennes concernant le traitement des contributions ont émergé. D’abord, des chercheurs de l’Observatoire des Débats ont demandé un allongement de la période d’élaboration de la synthèse et, même après la clôture de la synthèse officielle, Valentin Chaput a estimé très probable que pendant des mois et même des années, les chercheurs travailleraient sur les différents matériaux bruts du « in » et du « off » –ce afin de construire un état des lieux compréhensif des contributions citoyennes.
Ensuite, tant lui comme Claire Legros ont évoqué à plusieurs reprises la Grande Annotation, une des initiatives citoyennes qui a le plus mobilisé les données ouvertes. La Grande Annotation est une plateforme soutenue par Code for France et Data for Good qui permet à des contributeurs d’associer des étiquettes aux contributions afin de faciliter la réalisation d’une synthèse par les citoyens. Cette initiative a émergé comme réaction au traitement automatisé des contributions individuelles par les prestataires sélectionnés par le gouvernement et s’est inspirée d’initiatives précédentes, comme la numérisation des déclarations d’intérêt manuscrites des élus par Regards Citoyens.
Rejetant l’efficacité et la pertinence du traitement par l’intelligence artificielle, les collaborateurs anonymes avaient réussi à annoter de façon humaine et individualisée plus de sept cent mille contributions. Un volume de travail bénévole qualifié par Valentin Chaput comme « énorme ». Valentin Chaput a aussi mis en valeur l’opportunité de comparer les résultats de la Grande Annotation à ceux, « encore inconnus, de l’analyse officielle : qui, donc, traite et annote ce corpus ? ». À terme, cette comparaison pourrait donner un regard alternatif sur les mots-clés et les données privilégiées par cette analyse, compte tenu des enjeux de représentativité déjà mentionnés. Claire Legros a souligné la dimension d’intelligence collective de cette initiative, qui permet « la création d’un commun autour de ce Grand Débat avec une gouvernance beaucoup plus horizontale ». En même temps, elle garde à l’esprit « l’idée qu’on ne fera pas un grand miracle », puisque les données du Grand Débat restent soumises à de nombreux biais et donc impossibles à analyser.
Finalement, Valentin Chaput a voulu faire avancer son regard critique vers l’étape suivante : la matérialisation des conclusions de la synthèse dans des décisions politiques. « Qu’est-ce qu’on va faire de tout cela ? » « Jusqu’à quel point le gouvernement va vouloir relire la copie ? », s’est-il interrogé. Malgré toutes les réticences exprimées sur la transparence, la représentativité, etc, un grand nombre de citoyens sont venus se positionner et témoigner de leur situation et de leurs attentes. C’est pourquoi il a souligné le besoin de donner « une réponse à la hauteur, à la fois sur le plan méthodologique, en permettant justement faire de ce précédent [de consultation citoyenne] une forme d’habitude […] et puis, […] une réponse politique qui est attendue et qui permettra de voir si derrière cet exercice inédit il y a le ferment d’autres démarches à l’avenir ». En tout cas, il a exprimé le souhait qu’elles se réalisent de façon plus transparente, qu’elles soient inscrites dans le temps et plus ouvertes envers les différents corps intermédiaires, les institutions existantes et, globalement, les citoyens.
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