[Retour d'expérience] Grand débat: quelles suites politiques ?
Il y a un an, le Grand débat national (IV)
Quelles suites politiques ?
La Journée de la civic tech et de l’engagement citoyen, organisée par Décider Ensemble au CESE le 18 mars 2019, en lien avec la conférence internationale TICTeC 2019, a été l’occasion pour les acteurs français de la civic tech et de la participation citoyenne de se retrouver pour collectivement dresser un état des lieux du contexte français. Alors que le Grand Débat National touchait à sa fin, c’était le moment de réaliser un premier bilan de cette expérimentation et de ses déclinaisons dans les territoires. La 1e table-ronde de la journée s’intitulait « Ouvrir les institutions : retour sur le Grand débat national » et a vu intervenir Loïc Blondiaux, Isabelle Falque-Pierrotin, Anne Fauquembergue, Paula Forteza et Cyril Lage. Cet article est le quatrième d’une série de blogs qui présentent les conclusions de cette table-ronde. Voir le 1er article, le deuxième et le troisième.
Alexandre Malafaye avait ouvert la discussion de cette table-ronde en soulignant que l’enjeu du Grand débat était celui de la fabrication et de l’acceptation de la décision publique. Né de la « crise » des Gilets Jaunes, le Grand Débat avait signalé une intention forte du pouvoir politique. Le Président de la République avait déclaré : « Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies sans que rien n’ait été vraiment compris et que rien n’ait changé ». L’objectif de « transformer les colères en solutions » mettait la barre très haut.
Le Grand débat était une première mondiale non seulement par l’ampleur du dispositif et la mobilisation sans précédent des Français, mais aussi par la production d’un « big data » politique inédit. Les idées et solutions qui ont été remontées ne devaient pas produire un simple catalogue, mais un projet capable d’engager les Français.
Au-delà d’une expérimentation pour « prendre le pouls » du pays, pour Alexandre Malafaye, il y aurait un avant et un après le Grand Débat. La question qui se pose alors est celle de comment gouverner avec les Français tout au long du mandat : pas seulement avec les corps intermédiaires, mais aussi le « simple citoyen », qui avait le sentiment qu’on ne l’écoutait pas assez, que son avis n’était pas pris en compte, ce qui avait mené à une accumulation des tensions.
Cette expérimentation était donc importante pour réfléchir à comment nous prenons les grandes décisions. Pour Alexandre Malafaye, il faut faire attention à éviter les gadgets : on ne peut pas simplement réduire le nombre de parlementaires sans avoir une réflexion de fond sur les missions et les rôles des institutions (Assemblée Nationale, Sénat, CESE). La réflexion autour du Grand débat pourrait donc être un premier pas vers un renouveau démocratique, pour trouver les bonnes solutions, celles qui permettront de fabriquer une décision publique qui soit acceptée : « on ne peut pas faire une loi et après être obligés de la démonter parce que la pression de la rue nous y contraint ».
Cyril Lage (Cap Collectif) a souligné que le Grand débat a peut-être permis de voir émerger de nouvelles idées, mais cela a surtout été une tentative d’écoute de la société française, pour voir où sont les priorités. Cela permettra peut-être d’acter certains sujets en débat depuis 10 ou 15 ans. Plus largement, l’enjeu était celui de la transformation des modes de gouvernance.
Pour Cyril Lage, la difficulté est de repenser la place des corps intermédiaires et d’impliquer les citoyens. Nos modes de décision politique ont été inventés en 1958, quand il y avait 10% de bacheliers et pas de smartphones, alors que la population est aujourd’hui éduquée, connectée, en capacité et en volonté de participer. On ne peut plus la tenir à distance, mais il ne faut pas non plus tomber dans le travers inverse et vouloir en finir avec la représentation. La démocratie représentative est malade, il faut la soigner, pas la tuer.
Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’Université Paris 1, a remarqué qu’une surprise de ce Grand Débat a été la rapidité avec laquelle des solutions institutionnelles ont émergé dans le débat public : le RIC a accaparé l’attention, mais le Grand débat a surtout mené à la mise en place de 20 conférences citoyennes fondées sur le tirage au sort, une solution qui n’était pas du tout envisagée auparavant. Qui aurait pu imaginer qu’on envisagerait une assemblée citoyenne tirée au sort, qu’on fasse de la démocratie participative un outil permanent de notre politique ? Qu’on débatte sérieusement à l’Assemblée du vote obligatoire ?
Une vraie interrogation subsiste cependant sur à quoi aura servi ce débat. Est-ce qu’il aura permis de sortir d’une crise démocratique par plus de démocratie ? Est-ce qu’il nous permettra d’éviter l’alternance entre un néolibéralisme de plus en plus autoritaire (associé à une technocratie de plus en plus autoritaire), et un autoritarisme plus ou moins populiste, plus ou moins libéral ? Est-ce qu’on va inventer une nouvelle manière de se gouverner, de produire de la décision légitime ? Loïc Blondiaux a avoué qu’il était très pessimiste, mais que cette séquence lui avait rendu un tout petit peu d’espoir.
Paula Forteza, députée des Français de l’étranger, a replacé le Grand débat dans une transformation plus large. Pour elle, c’est une très bonne chose que l’écosystème des civic tech et de la participation ait pu être mis en avant et finalement pris au sérieux par les responsables politiques. Cela a aussi pu mener à de nouvelles propositions formulées au sein des partis, comme celles qu’elle a proposé dans le mouvement En Marche et qui sont aujourd’hui à l’étude :
1. Faire travailler ensemble parlementaires et citoyens en redonnant aux parlementaires un rôle dans la participation citoyenne, en inscrivant cette mission dans la Constitution, dans l’article 24. Celui-ci indique pour l’instant que les parlementaires votent la loi, contrôlent le gouvernement, évaluent les politiques publiques. Il faudrait y ajouter : « et favorisent la participation citoyenne ».
2. Dépoussiérer le droit de pétition auprès du Parlement, qui existe en France, en s’inspirant des pays où cela marche bien, comme le Royaume-Uni ou le Portugal. Le président de l’Assemblée et les médias ont repris cette proposition. Le mouvement des Gilets Jaunes a commencé sur la plateforme Change.org, avec des pétitionnaires qui voulaient interpeller les pouvoirs publics et qui, sans réponse, se sont dits : « pour se faire écouter, on va aller dans la rue ». Mettre en place un mécanisme institutionnel qui oblige les députés à avoir un débat en Assemblée sur les signaux faibles qu’on voit émerger de la société civile permettrait d’entrer dans un dialogue beaucoup plus fluide. Paula Forteza a expliqué préférer le référendum d’initiative partagée au RIC, justement parce que le premier fait travailler ensemble parlementaires et citoyens. Cependant, les seuils actuels sont inapplicables, dont il faut les baisser drastiquement pour qu’il puisse être déclenché.
3. Mettre en place un budget participatif à l’échelle nationale. Ceci permettrait aux citoyens d’avoir leur mot à dire sur les grands équilibres budgétaires, de s’exprimer sur combien on va dépenser, sur quoi, qui on va taxer, des questions qui étaient formulées par les Gilets Jaunes. Par exemple, le Fonds de la Vie Associative pourrait être mis au budget participatif.
4. Institutionnaliser un Grand Débat de mi-mandat, qui serait obligatoire pour le gouvernement, inscrit noir sur blanc dans la loi. Ce grand débat, qui devrait être permanent, serait un grand rendez-vous où le gouvernement et le Président seraient obligés de revenir vers les électeurs pour remettre en cause leur politique.
5. Enfin, mettre en place des conseils citoyens au niveau des circonscriptions parlementaires, où des citoyens tirés au sort pourraient réfléchir à comment agir au niveau local, mais aussi donner des retours aux parlementaires sur leur action au niveau national.
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