[Retour d'expérience] Grand débat : civic tech et délibération
Il y a un an, le Grand débat national (II)
Les civic tech pour une démocratie délibérative ?
La Journée de la civic tech et de l’engagement citoyen, organisée par Décider Ensemble au CESE le 18 mars 2019, en lien avec la conférence internationale TICTeC 2019, a été l’occasion pour les acteurs français de la civic tech et de la participation citoyenne de se retrouver pour collectivement dresser un état des lieux du contexte français. Alors que le Grand Débat National touchait à sa fin, c’était le moment de réaliser un premier bilan de cette expérimentation et de ses déclinaisons dans les territoires. La 1e table-ronde de la journée s’intitulait « Ouvrir les institutions : retour sur le Grand débat national » et a vu intervenir Loïc Blondiaux, Isabelle Falque-Pierrotin, Anne Fauquembergue, Paula Forteza et Cyril Lage. Cet article est le deuxième d’une série de blogs qui présentent les conclusions de cette table-ronde. Voir le 1er article, le troisième, le quatrième.
Un rôle spécifique pour les civic tech dans le Grand débat national
Anne Fauquembergue, journaliste à France Culture, est intervenue dans la table-ronde pour présenter l’émission Hashtag consacrée au Grand Débat. Le principe de l’émission est de s’appuyer sur les réseaux sociaux pour discuter d’un sujet : un appel à témoignages est lancé sur les réseaux tandis que les journalistes recueillent des données et réalisent des interviews pour alimenter le débat. Au bout d’une semaine, l’émission propose une restitution sonore des témoignages et des interviews.
Ce format était particulièrement approprié pour discuter d’un mouvement né sur internet, celui des Gilets Jaunes, et pour impliquer les acteurs de la civic tech dans le débat. Dans cet écosystème qui se compose d’une cinquantaine de structures, on compte à la fois des start-up qui produisent et vendent des technologies (comme Cap Collectif, prestataire du Grand débat, ou Fluicity, qui a organisé un grand débat avec les maires ruraux), des associations spécialisées comme Démocratie ouverte, et des ONG, collectifs de citoyens et acteurs engagés qui militent pour l’ouverture des données et le contrôle de l’action politique (comme Regards citoyens, association historique de cet écosystème).
Pour Anne Fauquembergue, les civic tech sont un écosystème dynamique, et ces outils numériques ont attiré les Gilets Jaunes. Nés sur internet, utilisant Facebook, ils ont assez spontanément rencontré des membres de la civic tech, qui ont mis à disposition des plateformes dès novembre 2018. Lydie Coulon, Gilet Jaune du Vaucluse, s’est tout de suite investie dans la plateforme du Vrai Débat, qu’elle décrit comme une « bombe atomique », ou comme un « gros calculateur » qui permet de classer et stocker les données. Avoir une plateforme indépendante était important pour garder le contrôle sur ces données, car « elle ne fait pas confiance au gouvernement ».
L’émission a également mis en lumière le rôle critique que les civic tech ont pris vis-à-vis du Grand débat. Dans les commentaires sur l’émission, l’entreprise Open Source Politics, qui déploie l’outil Decidim développé à Barcelone, a fourni 8 critères d’évaluation des outils de participation numérique. Pour ces acteurs, les plateformes devraient être des communs, respecter l’idéal de la communauté du logiciel libre qui est un code source accessible à tous (contrairement à la plateforme de Cap Collectif). La question de l’open source est en fait aujourd’hui une ligne de fracture dans l’écosystème de la civic tech.
Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’Université Paris 1, a également souligné l’impact que la séquence du Grand débat a eu sur l’écosystème des civic tech, et de la participation citoyenne en général. Avec le Grand débat, la place donnée aux instruments de la démocratie participative a beaucoup évolué. On a vu Alain Duhamel affirmer dans Libération que « la solution aujourd'hui à la crise de notre pays est la démocratie participative et délibérative ». C’était une surprise car les journalistes ou acteurs politiques n’avaient jamais pris au sérieux cette question. La séquence du Grand débat a donc constitué une formidable campagne de publicité et de promotion pour les civic tech, ainsi que pour la démocratie participative.
Paula Forteza, députée des Français de l’étranger, a ajouté que l’écosystème des civic tech a été transformé par cette séquence. C’est un écosystème dans lequel on avait beaucoup pêché par solutionnisme technologique et par entre-soi, avec une forme de fétichisme pour les outils, les fonctionnalités, et des débats techniques entre techniciens qui laissaient peu de place aux questions de contexte méthodologique et d’impact politique.
Vers une démocratie délibérative ?
Ce qui a particulièrement intéressé les intervenants était la manière dont la délibération a été mise en lumière par le Grand Débat. Pour Loïc Blondiaux, on dit souvent qu’en France, « on ne sait pas débattre », qu’on n’a pas de tradition du débat politique, qu’à l’Assemblée on s’affronte plutôt que de s’écouter. Durant le Grand débat, certaines réunions n’ont été qu’une juxtaposition de prises de parole, car il manquait des compétences et une modération nécessaire pour produire un jugement collectif, une véritable délibération. Mais dans d’autres réunions, il y a eu une vraie attitude délibérative : on s’écoute, on essaie de discuter. Cela a été, en fait, une sorte d’intrusion de la délibération dans un système politique qui lui laisse traditionnellement peu de place. Le Grand débat national a aussi été un moment de pédagogie, où on s’est rendu compte que ce n’était pas facile à faire, qu’il fallait des règles, des outils et des compétences spécifiques pour animer une réunion et obtenir un débat.
Paula Forteza a souligné que le Grand débat a permis un « mariage » entre l’écosystème technique des civic tech et la sphère de décision institutionnelle. Il y a eu une réflexion un peu plus aboutie sur comment faire que les citoyens s’emparent de ces outils et discutent entre eux, comment redonner une éthique de dialogue à la société française. Selon Paula Forteza, c’est une vraie nécessité alors que les échanges politiques sont violents, agressifs, polarisés. Le Grand débat a pu permettre de retrouver cette envie de se connaître, de se comprendre, de peut-être changer d’avis entre une réunion et l’autre, d’apprendre de nouvelles choses, se rendre compte que nous n’avions pas les bonnes informations, les bonnes données… Ce caractère délibératif est vraiment à mettre en avant comme un enseignement positif, et doit continuer à être travaillé. C’est aussi quelque chose qu’on a retrouvé chez les Gilets jaunes, qui se sont retrouvés sur les ronds-points et ont apprécié cette sociabilité, ce vivre-ensemble, ce faire société, faire de la politique ensemble, pour des personnes qui ne parlaient que peu de politique, ne votaient pas depuis longtemps.
Paula Forteza a également souligné qu’il y avait eu beaucoup de retours sur des initiatives de démocratie directe un peu « sèche », sans participation des intermédiaires et sans la mise en place des ressorts de cette démocratie institutionnelle. On a eu l’exemple du Brexit, mais à Taiwan par exemple, où un RIC a été mis en place, ils se sont aussi rendu compte qu’il manquait une période de débat préalable. Si on ne donne pas cet espace de débat aux citoyens, pour qu’ils discutent entre eux, réfléchissent à l’impact de leurs décisions, créent des consensus, les décisions produites peuvent être de mauvaise qualité. Pour Paula Forteza, on devrait donc faire de la démocratie délibérative notre étendard.
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