[Retour d'expérience] Grand débat, un dispositif inédit
Il y a un an, le Grand débat national (I)
Des « Gilets Jaunes » à un dispositif d'une ampleur inédite
La Journée de la civic tech et de l’engagement citoyen, organisée par Décider Ensemble au CESE le 18 mars 2019, en lien avec la conférence internationale TICTeC 2019, a été l’occasion pour les acteurs français de la civic tech et de la participation citoyenne de se retrouver pour collectivement dresser un état des lieux du contexte français. Alors que le Grand Débat National touchait à sa fin, c’était le moment de réaliser un premier bilan de cette expérimentation et de ses déclinaisons dans les territoires. La 1e table-ronde de la journée s’intitulait « Ouvrir les institutions : retour sur le Grand débat national » et a vu intervenir Loïc Blondiaux, Isabelle Falque-Pierrotin, Anne Fauquembergue, Paula Forteza et Cyril Lage. Cet article est le 1er d’une série de blogs qui présentent les conclusions de cette table-ronde. Retrouvez la suite : 2e article, 3e article, 4e article.
Les Gilets Jaunes, ainsi que la réponse apportée par le gouvernement ont été une surprise
Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, a souligné que la séquence politique qui allait des gilets jaunes au Grand débat n’a pas cessé de surprendre les observateurs. Le mouvement des Gilets Jaunes est un événement, au sens de la science politique. Il y a un avant et un après. Même pour ceux qui travaillaient depuis plus de vingt ans sur les questions de participation citoyenne, cet événement a été une surprise.
D’abord, parce qu’on a vu des catégories sociales qui ne parlaient plus politiquement, qui ne se mobilisaient plus, qui pour beaucoup ne votaient plus, prendre la parole. Dans leurs discours, la question démocratique, qu’on croyait réservée aux professionnels de la politique, était extrêmement présente. Avec le référendum d’initiative citoyenne mais aussi d’autres propositions, ils ont produit un discours et des revendications articulées sur cette question.
De plus, et c’est ce qui fait la nouveauté et l’importance de ce mouvement, les Gilets Jaunes ont articulé la question démocratique, celle des institutions, à la question de la justice sociale. On avait tendance à dissocier politique, économique et social, et les Gilets Jaunes les ont au contraire reliés, affirmant que les inégalités étaient aussi dues à des dysfonctionnements ou des choix institutionnels.
Une deuxième surprise a été la réponse donnée à ce mouvement. Évidemment, la stratégie gouvernementale qui consiste, face à une mobilisation importante, à concéder des espaces de discussion (on parle de « concessions procédurales ») n’est pas nouvelle. Mais l’ampleur du dispositif a surpris : pendant deux ou trois mois, on a mis en suspens le fonctionnement ordinaire des institutions, des administrations, on a retenu certaines décisions, pour faire participer les citoyens. C’est pourquoi on peut parler d’un dispositif original et d’une ampleur inédite.
Mettre en place un dispositif numérique pour des millions de participants : un défi
Cyril Lage, co-fondateur de Démocratie Ouverte, Parlement et Citoyens et Cap Collectif, a expliqué que Cap Collectif avait été contacté fin décembre 2018, à l’origine par la CNDP, et avait commencé à travailler sur un modèle de participation avec d’autres prestataires. Avec la sortie de la CNDP et un temps très contraint pour le lancement, il a été décidé d’utiliser l’une des applications de la plateforme avec un paramétrage différent.
L’enjeu principal a été le volume de contributions : Cap Collectif avait déjà fait quatorze ou quinze consultations pour le gouvernement, mais pour le Grand débat ils étaient certains que cela allait être un raz-de-marée, car il y avait une réelle campagne de communication qui a attiré l’attention des médias.
Cap Collectif a donc eu quatre préoccupations principales : assurer la capacité de charge pour l’outil, garantir la sécurité contre les attaques informatiques, garantir l’accessibilité de l’outil (y compris pour les personnes en situation de handicap) et établir une politique de confidentialité des données. L’équipe technique a travaillé pendant des semaines sur ces chantiers, et cela était justifié : il y a eu un volume d’attaques informatiques dix fois supérieur à ce qui est habituellement enregistré. L’objectif de ces attaques était de nuire au gouvernement en défigurant le site, ou de récupérer les données des utilisateurs (même s’il y avait relativement peu de données à collecter à part les adresses e-mail).
La question qui s’est ensuite posée est celle de l’ouverture des données : les jeux de données ont été publiés sur la plateforme et étaient accessibles via une API interne, puis via une nouvelle API pour faciliter l’accès. Cependant, cela posait une question d’anonymisation des données, qui est réalisée quand les données sont publiées par Cap Collectif, pas forcément si on va les télécharger directement sur le site, avec des réponses encore visibles.
Quel rôle et quel impact des garants du Grand débat national ?
Isabelle Falque-Pierrotin, ancienne présidente de la CNIL et garante du Grand débat national, a présenté le dispositif des « garants ». Cinq garants ont été désignés, deux nommés par le Premier Ministre, et trois par le Président de l’Assemblée Nationale, le Sénat et le CESE. Il faut rappeler que la constitution du collège de garants s’est faite dans un contexte de crise (liée à la polémique avec la CNDP), et de volonté d’en sortir. Les garants ont donc travaillé sur un dispositif qui était déjà défini, afin d’assurer une sorte de contrôle démocratique de qualité, pour toutes les modalités d’expression citoyenne du Grand débat. Les principes qui devaient être respectés, de la collecte jusqu’à la restitution finale, étaient la neutralité, la transparence, l’inclusion et l’impartialité.
Le collège des garants a travaillé de manière très opérationnelle, d’abord avec la mission du Grand débat, à travers des interactions quasi-quotidiennes et la réponse à des arbitrages qui lui étaient soumis. Le collège a également publié des communiqués de presse, participé à des réunions locales, et répondu à certaines interrogations des citoyens via une boite mail.
Les garants ont eu plus ou moins d’influence sur le fonctionnement du Grand débat. Sur la question de la transparence, le collège de garants a insisté pour que toutes les contributions (pas seulement celles en ligne) soient mises en open data, et cette demande a été entendue. L’objectif était d’abord que chacun puisse retrouver ce qu’il a dit, sa contribution, mais aussi qu’il puisse y avoir des contre-analyses des contributions, ce qui était extrêmement important pour cimenter l’impartialité de l’analyse faite par les prestataires et retenue par le gouvernement.
Pour le principe d’inclusion, l’objectif était que la participation soit la plus inclusive possible. Pour le tirage au sort, par exemple, il s’est fait à partir de la génération automatique de numéros de téléphone plutôt que sur les listes électorales, qui n’incluent pas toute la population.
Pour le principe de neutralité, la discussion était plus compliquée. Les garants ont demandé à ce que le Président de la République ne soit pas aussi présent sur le terrain. Si sa présence a permis de faire connaître le Grand Débat, elle a aussi pu poser des questions en termes de neutralité.
Enfin, sur le format du débat, les questionnaires permettaient de plus facilement faire réagir les citoyens, mais cela a pu contraindre le débat. Les garants auraient aimé plus de liberté de contribution, mais cela n’a pas été possible compte tenu des délais.
Le caractère expérimental du dispositif et la mobilisation de toute la société
Paula Forteza, députée LREM des français de l’étranger et membre de la Commission des Lois, avait été rapporteure d’un des groupes de travail qui visaient à réformer l’Assemblée Nationale, focalisé sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne. Elle a fourni une analyse de la séquence du Grand débat national en rappelant que son caractère expérimental est ce qui en fait un dispositif inédit et une expérimentation qui intéresse dans le monde entier.
Pour elle, l’intérêt du Grand débat est la variété des dispositifs mis en place : plateforme en ligne, réunions locales, conférences de consensus, stands dans les gares et espaces publics… Et bien sûr, au-delà du « in », tout le « off » du Grand débat, les plateformes comme le Vrai débat, des plateformes de maires, les cahiers de doléance… Mais plus largement, le débat a eu lieu partout. La participation de Marlène Schiappa à Balance ton Poste de Cyril Hanouna a beaucoup créé de polémique, mais elle a abouti à des propositions concrètes et intéressantes.
Sur les réseaux sociaux, on peut remarquer le Grand Débathon organisé par Accropolis sur Twitch, un réseau social plutôt axé sur les jeunes qui jouent aux jeux vidéo : les ministres y ont défilé pendant une journée, c’était une expérience intéressante. Il y a aussi eu l’initiative « Entendre la France », des jeunes qui ont créé un chatbot (robot de conversation) sur Facebook Messenger pour aller chercher des réponses au Grand débat auprès d’un public plus jeune. Donc une infinité de dispositifs, plus ou moins critiques du Grand débat officiel, mais qui ont quand même accepté de dire que c’était un moment où il fallait débattre, que toute la société devait se mobiliser.
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