[Compte-rendu] Information et réseaux sociaux, conférence d'Arnaud Mercier
Compte rendu de la conférence du 11 mars 2020 organisée par le Patronage laïque Jules Vallès
« Les réseaux sociaux ont quelque peu bouleversé la vie politique ces dernières années, en installant a priori une forme d'horizontalité semblant contrer la verticalité du pouvoir institutionnel. […] Chacun, par le biais des réseaux sociaux, peut être vecteur ou producteur d'informations, réelles ou fausses. » C’est par ces constats qu’Arnaud Mercier, professeur à l'Institut français de presse et à l'Université Panthéon-Assas, spécialiste en communication politique et chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique du CNRS), a introduit la conférence « Information et réseaux sociaux » du 11 mars 2020 au Patronage laïque Jules Vallès.
La conférence portait sur le « nouvel écosystème de la consommation d’information » ainsi que les pratiques et menaces qui y sont associées. L’observation historique a caractérisé les périodes de changement comme des moments d’instabilité transitoire qui permettent l’évolution entre deux paradigmes stables. Or, l’écosystème de l’information évolue aujourd’hui vers une situation de déstabilisation permanente. Les technologies ne cessent de changer et, par conséquent, les rapports entre les journalistes, les médias et les citoyens deviennent flous, fragiles et multiformes. Puisqu’on ne consomme plus de la même façon, le modèle économique du secteur est également bouleversé. Enfin, dans ce contexte, le phénomène des fake news prend une ampleur inouïe.
S’il est difficile de fournir une image compréhensible de cet environnement mouvant, Arnaud Mercier a proposé un résumé du changement en dix axes :
1. De la « quotidienneté » à l’« immédiateté »
L’internet a accéléré le rythme de l’actualité. Si auparavant, l’unité de compte était le jour, d’où le mot « jour-nal », aujourd’hui il n’est plus nécessaire d’attendre. Nous pouvons accéder à l’information quand nous le souhaitons, et celle-ci doit donc être mise à jour en continu. Les journalistes deviennent des « minutistes », au détriment du recul, du temps de vérification et, parfois, de la déontologie.
2. De la « temporalité imposée » à la « consommation choisie »
Auparavant, les médias maîtrisaient la temporalité de ce qui nous était présenté (timing). Aujourd’hui, l’accès à l’information devient un moment choisi : c’est le citoyen qui décide quand consommer la production médiatique, notamment grâce aux vidéos en replay, aux podcasts, etc.
3. De la « linéarité imposée avec une logique d’audience » au « patchwork » et à l’« agrégation personnelle »
Le citoyen décide non seulement quand, mais aussi ce qu’il consomme. Lorsque la production d’informations et son timing était presque entièrement contrôlée par les médias, nous pouvions être confrontés à des contenus auxquels nous ne nous attendions pas. De plus, le public était en quelque sorte « fédéré » grâce à une consommation du même produit au même moment. Au contraire, les réseaux sociaux et les nouveaux formats permettent aux citoyens de construire leur propre mosaïque d’actualités, et donc l’effet fédérateur disparaît.
4. Du « flux périssable » à l’« archivage »
Aujourd’hui, les médias laissent leur production sur leurs sites web. Les citoyens peuvent en faire un usage d’archive, afin par exemple de confronter les personnes publiques à leurs déclarations passées. A titre d’exemple, 15% des posts circulant sur Twitter datent de plus d’un mois.
5. Des « journalistes professionnels » aux « informateurs amateurs »
Les citoyens peuvent interagir avec la production médiatique du passé, mais ils peuvent aussi produire ce qu’ils considèrent comme de l’information. Si les médias arrivent souvent à récupérer cette production pour nourrir leurs fils d’actualité (images, vidéos), ce geste valide en revanche le statut de « concurrent » donné aux producteurs amateurs.
6. Du « paiement » à la « gratuité »
Par le passé, le modèle économique des médias était fondé sur l’abonnement (paiement direct) ou l’exposition à la publicité (paiement indirect). Depuis le déploiement de leurs versions en ligne, les médias eux-mêmes ont contribué à leur dévalorisation, en privilégiant la gratuité. Les mesures pour corriger les déficits (abonnements, publicité) ont été prises alors que Google et Facebook avaient déjà capté l’essentiel des recettes publicitaires.
7. De l’ « article achevé et publié » au « texte augmentable et en évolution »
Le suivi de l’actualité demande une mise à jour continue, désormais possible grâce aux formats en ligne. Par conséquent, les journalistes ne finissent jamais entièrement leurs articles. Ceci a pu générer des conflits liés à la redéfinition du métier de journaliste, notamment au niveau du droit du travail (demande de rémunération de la retouche par exemple).
8. De la « diffusion d’un reportage vers une audience constituée » à l'« enjeu de la dissémination d’une information au sein de publics différents »
La ligne éditoriale, la réputation, ou même l’existence des médias est de moins en moins reconnue par les citoyens : on confond le support de diffusion de l’information (Youtube, Facebook) avec le média producteur de cette information (le journal, la chaîne). Auparavant, les journaux construisaient leur audience à travers une adhésion à leur ligne éditoriale et à leur format. Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui créent en partie les publics, à travers l’analyse des préférences de nos « amis » ou de nos données personnelles. Les médias n’ont plus un public dédié : leur production est disséminée auprès d’une pluralité de publics à travers des algorithmes d’agrégation de préférences.
9. De la « spécialisation par support » à l’« information consommée en ligne »
Si la ligne éditoriale des médias est beaucoup moins visible en ligne de par la diffusion des contenus en dehors de leur plateforme de production, leur spécialisation (thématique, géographique, idéologique) l’est aussi. L’information consommée en ligne est faite de combinaisons de thématiques, de producteurs et de formats (texte, audio, vidéo, archives…).
10. L’accès aux articles via les réseaux sociaux
L’année dernière, la télévision a été dépassée par les réseaux sociaux, une tendance qui oblige les médias à un transfert des supports vers le numérique (surtout le smartphone). De plus, comme l’accès aux contenus sur les réseaux sociaux se fait notamment à travers la recommandation des proches, chacun d’entre nous est de plus en plus un influenceur : nous « escortons » les informations, les retweetons avec des commentaires, etc. Ces deux tendances convergent pour créer une situation où la recommandation des pairs devient plus importante que la confiance accordée à des journalistes.
Pour Arnaud Mercier, cet écosystème rend extrêmement facile la diffusion de fake news : 75% des Français et Françaises disent y avoir été confrontés et 59% les diffusent même en sachant que la source n’est pas fiable, 53% d’entre eux sans même la vérifier. Si l’on ajoute à cela l’importance croissante de la recommandation des pairs, il existe un risque d’enfermement : en ayant l’impression d’être informés, nous risquons de ne recevoir que les mêmes informations, en provenance des mêmes médias et recommandées par les mêmes personnes. De surcroît, ces informations ne feraient que renforcer nos opinions, c’est-à-dire « notre capacité à croire en ce que nous croyons déjà ».
Lorsqu’une personne dans le public a fait remarquer que « les fake news existaient déjà », Arnaud Mercier a répondu qu’il était impossible de comparer les fake news à la désinformation traditionnelle. Selon lui, la relativisation de la magnitude du phénomène actuel est inacceptable et empêche de comprendre la réalité en niant l’existence d’un changement. La désinformation est construite avec les mêmes méthodes et les mêmes intentions (soulever nos peurs ancestrales), mais les réseaux sociaux en ont fait exploser le volume et la vitesse de propagation.
Pour Arnaud Mercier, il ne faut pas non plus cacher que ce phénomène repose sur le pouvoir que les réseaux sociaux ont octroyé aux « idiots utiles qui likent ces contenus ». « Comme le Coronavirus, nous sommes tous responsables de la diffusion des fake news », a-t-il souligné. Si cela signifie que nous sommes aussi responsables de limiter cette diffusion, Arnaud Mercier se considère « extrêmement pessimiste » sur le pouvoir des sites de fact checking. « L’écrasante majorité de ceux qui consultent ces sites sont déjà convaincus que l’information est fausse », alors que ceux qui croient aux fake news fuient la dissonance cognitive qui serait provoquée par la réfutation de leurs croyances. Arnaud Mercier place plutôt son espoir dans l’éducation des enfants et des adultes afin qu’ils prennent conscience de leur vulnérabilité cognitive : « si les fabricants de fake news jouent sur les gens qui doutent, le meilleur remède contre ça est de faire douter ceux qui doutent ».
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