[Compte-rendu] Les civictechs pour une démocratie plus inclusive ?
Compte rendu de la conférence du 20 février 2020 organisée par Global Shapers Paris à Belleville by Boson
« Les civic tech peuvent-elles rendre la démocratie plus inclusive, en renforçant le rôle joué par les citoyens dans les débats et prises de décision ? » C’est avec cette question que le modérateur a introduit la conférence, qui a accueilli Sarah Durieux, directrice exécutive en France de Change.org, Julie de Pimodan, fondatrice de Fluicity, Thierry Vedel, chercheur à Sciences Po et au CNRS et Sylvain Raifaud, adjoint à la Mairie du Xème arrondissement de Paris en charge de la démocratie locale et du budget participatif. La conférence portait sur le rôle des civic tech au sein des collectivités locales et sur la participation au débat public sur Internet.
Tout d’abord, un paradoxe a été constaté : si nous sommes dans un contexte marqué par une crise de légitimité des élus, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir être à l’écoute des citoyens. Ces derniers montrent aussi une envie de participer. Ainsi, Julie de Pimodan présente Fluicity comme une réponse à la « défiance » envers les élus, et au-delà du travail avec les collectivités, elle souligne le besoin de travailler avec le grand public, annonçant leur intention de créer un « réseau de grandes causes ». Sarah Durieux considère l’usage de Change.org comme une porte d’entrée ou une « première marche » de la participation : l’engagement des utilisateurs est souvent déclenché par une initiative locale, mais ils peuvent ensuite s’intéresser à des pétitions globales en navigant sur le site.
Les intervenants et intervenantes ont souligné trois défis principaux : la représentativité des débats, l’appropriation des outils et la qualité des contributions.
Sylvain Raifaud (Maire-adjoint du 10ème) souligne que les élus n’ont plus une liberté totale d’action pendant leur mandat, et qu’ils ont besoin de l’« expertise citoyenne » afin d’orienter leur action publique. Le problème est que cette expertise est limitée si ce sont « toujours-les-mêmes » -les « TLM »- qui participent. Les civic tech doivent permettre d’engager davantage de personnes et casser un cercle vicieux où ceux qui sont toujours présents ou ceux qui parlent le plus fort obtiennent toute l’attention.
Pour Thierry Vedel (Sciences Po, CNRS), le problème de la représentativité est un problème d’inclusion. Réaliser une « démocratie inclusive » suppose de répondre à des objectifs d’inclusion qualitative et quantitative. Puisqu’une minorité active tend à monopoliser le débat, le défi sera d’impliquer le plus grand nombre de citoyens possible en ciblant la majorité inactive. Julie de Pimodan a expliqué que pour toucher de nouveaux publics, l’entreprise exploite les réseaux sociaux et les annonces ciblées (Google ads, etc), mais qu’un objectif d’impliquer dix pour cent de la population reste souvent suffisant pour les élus.
Thierry Vedel établit un parallèle historique avec l’ère du début d’internet, il y a 20 ans. La communauté était très optimiste par rapport à la capacité des nouveaux outils à engager toute la population dans le débat public. Vingt ans plus tard, la réalité est plus proche d’une « démocratie expressive » où, même si s’exprimer n’a jamais été aussi facile, on peine toujours (voire plus qu’avant) à arriver à un accord. En effet, Internet a contribué à démocratiser la prise de parole, l’accès à l’information et l’impact sur les décisions, mais a aussi pour effet d’exacerber le conflit et la polarisation. Sarah Durieux (Change.org) a un avis plus nuancé : pour elle, la polarisation du débat est le résultat d’une évolution sociale. Internet, plus qu’une « voie royale pour le populisme » (selon les termes d’un participant à la conférence) ne serait qu’un accélérateur de cette évolution.
Dans ce contexte, Sylvain Raifaud a mis l’accent sur la nécessité de « donner la priorité à la cible par rapport à la métrie ». Interpellé sur le fait que les participants au débat sur le Revenu Universel n’étaient pas ceux qui en dernière instance le recevraient, il a souligné que pour assurer une bonne représentativité, il est nécessaire d’assurer au préalable une appropriation des outils par les citoyens concernés. Julie de Pimodan (Fluicity) a mis en avant l’importance du design inclusif pour garantir l’accessibilité, mais Sylvain Raifaud s’est montré plus exigeant.
Pour lui, il faudrait activement tenir compte des intérêts en conflit pour assurer la présence dans le débat de tous les acteurs concernés, ce qui suppose que le débat ne soit pas « 100% numérique ». Par ailleurs, pour garantir un réel « accès à la citoyenneté », on peut s’appuyer sur des associations locales qui rapprochent les citoyens des services publics en ligne ou former les « TLM » comme facilitateurs de la parole des autres.
Au niveau du débat public, la métrie reste cependant importante. Sarah Durieux (Change.org) s’étonne que malgré l’existence de moyens simples d’expression, une grande partie de la population ne s’exprime pas. Une de ses propositions est de favoriser l’existence de « safe spaces » (espaces de confiance), où les citoyens se sentiraient légitimes à s’exprimer.
Pour Thierry Vedel, les enjeux sont plus importants que l’outil : l’appropriation des outils est possible si les citoyens sont attirés par les enjeux traités. A un niveau plus général, faciliter la participation ne sera pas possible sans envisager une réduction du temps de travail ou offrir des compensations économiques. Si tous les intervenants ont considéré le temps comme un facteur clé, l’argent n’a pas fait consensus. Si certains trouvent idéal de pouvoir offrir une compensation aux participants, comme pour ceux tirés au sort pour la Convention Citoyenne sur le Climat, Julie de Pimodan a remarqué que les élus y sont fréquemment opposés : « on ne peut pas acheter nos participants ».
Enfin, une fois que les citoyens participent, quelle est la qualité des contributions ? Thierry Vedel dénonce un appauvrissement général des informations présentes sur la toile, du fait notamment de la disparition des intermédiaires (médias traditionnels, partis, syndicats). Pour Sylvain Raifaud, le défi est surtout l’usage des données par les services des collectivités. Tout d’abord, « souvent, la qualité de ce qui remonte est pénible ». Ensuite, « s’ils ne sont pas capables de structurer à travers les outils toutes les données qu’ils produisent, il est très compliqué de détecter des problèmes structurels ».
Les plateformes peuvent donc contribuer à l’information, la production d’avis et d’actions des citoyens, et enfin à une meilleure prise de décision. L’objectif selon Julie de Pimodan est que les plateformes, par leur design, soutiennent les différentes activités par un « cercle vertueux de la participation ». Sylvain Raifaud s’est montré moins « techno-centrique ». Pour lui, le problème est plutôt qu’Internet a permis de simplifier le signalement ou la pétition, mais si l’objectif est la concertation, l’usage de dispositifs complémentaires de débat et d’échange d’idées reste nécessaire pour enrichir la qualité des décisions publiques.
La dernière question du modérateur était : « est-ce qu’il y a une vraie volonté de changer les choses ? » Si l’appétence croissante des élus pour la participation semble être évidente, tous les intervenants ont dénoncé le fort risque de civic washing. Sarah Durieux, qualifiant le Grand Débat National de « juste de l’affichage », a mis le public en garde contre la décrédibilisation des démarches participatives authentiques. Tous les intervenants se sont accordés sur le fait que la répétition d’un tel échec ne ferait que contribuer davantage à la polarisation, la défiance et la fatigue des citoyens.
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