[Retour d'expérience] Démocratie permanente & numérique en Région Centre
Le 15 mai 2019, Décider ensemble et la mission Ecoter ont organisé un colloque rassemblant praticiens et experts de la participation citoyenne numérique pour discuter des moyens et compétences nécessaires pour mettre en place ces démarches dans les collectivités. L’objectif de cette rencontre était de poser le regard sur ce qui est souvent un « angle mort » du sujet, c’est-à-dire la conduite en interne de ces démarches participatives, les méthodes et compétences mobilisées pour mener ces projets et les difficultés rencontrées, du portage de l’idée jusqu’au retour au citoyen. Lors de ce colloque, six collectivités ont présenté leurs retours d’expérience. Cet article est issu d’une présentation réalisée lors de cet événement.
Le besoin de transversalité pour une transformation numérique et citoyenne, par Laurent Olivier, directeur de la transformation numérique et citoyenne de la Région Centre Val de Loire
Transformation numérique et démocratique : deux évolutions à prendre en compte simultanément.
Laurent Olivier fait d’abord le constat d’un changement de paradigme majeur dans la relation que les élus ont avec les citoyens, accompagné d’une transformation par le numérique du fonctionnement des organisations. Ceci a des effets à la fois en interne à la collectivité, et en externe lorsqu’il s’agit de dialoguer avec les différents acteurs. Certains acteurs bousculent en effet les services offerts par les collectivités. Il prend l’exemple de la start-up Wild Code School, qui propose des formations au code bien plus avancées que celles proposés par la collectivité à destination des personnes en reconversion professionnelle. Il est donc impossible pour une collectivité de continuer à faire comme avant et de travailler seule ces sujets.
La question du numérique est ancienne, mais elle a connu en Centre Val de Loire une reconsidération en 2016 avec le nouvel exécutif régional. Pour comprendre la transformation numérique et son impact sur les acteurs régionaux, la Région a organisé des « États Généraux du Numérique ». L’objectif était de passer par la concertation pour qualifier la transformation en cours, en écoutant les acteurs, puis de définir une stratégie numérique régionale et fixer un cap en matière d’accompagnement du numérique. Il fallait arriver à articuler l’initiative publique avec l’initiative privée et adopter une approche de société numérique. Cela supposait de dépasser l’approche économique qui concerne surtout les entreprises (représentée par exemple par les démarches autour de la French Tech) pour intégrer toute la société, dont les habitants et citoyens. C’est en effet la société dans son ensemble qui est impactée par le numérique, et pas uniquement la sphère économique.
Plus largement, la Région a une démarche de démocratie permanente, qui suppose d’aller dans tous les territoires et de discuter avec tous les acteurs, même ceux avec qui ils n’avaient pas l’habitude de travailler. Par exemple, Démocratie Ouverte ou Missions publiques, acteurs intermédiaires entre le privé et la civic tech, ne vendent pas des services ou produits technologiques ni du conseil, mais proposent une démarche de co-construction et d’accompagnement. Ceci permet à la Région de mieux appréhender le milieu de la civic tech et de la concertation pour obtenir des résultats par le recueil de contributions et par la délibération. Cette collaboration a abouti à un rapport définissant la stratégie de la Région en matière de démocratie permanente. De ce projet sont nés des « ambassadeurs de la démocratie », des acteurs de la Région qui vont faire connaître ce qui se fait vers l’extérieur, pour inspirer d’autres territoires à adopter une telle démarche et porter des initiatives locales nouvelles. Par ailleurs, la direction « transformation numérique et citoyenne » a été créée dans une démarche d’accompagnement dans la collectivité.
Laurent Olivier met en garde les acteurs de la civic tech qui ne font que proposer leur propre solution, ce qui peut provoquer l’incompréhension des collectivités locales et la peur pour ces dernières de ne pas être écoutées, que leur démarche ne soit pas prise en compte. Il soutient que les acteurs privés doivent entendre cette expression de besoins et s’adapter à la demande publique. La demande quant à elle doit s’articuler autour d’un système : on doit réfléchir à comment rendre urbanisables et interopérables les différents outils qui existent sur le marché, pour proposer quelque chose de cohérent vis-à-vis des différents usagers à qui on va s’adresser.
Une transformation des métiers : des ressources transversales pour expérimenter le numérique
Laurent Olivier propose plusieurs pistes concernant les métiers et compétences nécessaires au bon déroulement de la transition numérique. Il faut d’abord des élus moteurs, capables de porter une vision et pouvant mobiliser leurs collègues et le conseil régional. En effet, les élus ne comprennent pas toujours ces enjeux et il est difficile pour eux d’adopter une posture de démocratie permanente. Il faut convaincre le comité de direction pour qu’il puisse porter ces sujets de manière collective, avec un minimum de ressources (il préconise un minimum un équivalent temps plein uniquement consacré à ces problématiques). Quant au management, il est nécessaire d’être prudent sur les profils recrutés, car il faut avoir conscience, en travaillant sur ces sujets, que l’on passe par des logiques d’expérimentation. Le cadre est alors moins sécurisé ou clair que dans d’autres directions et risque de créer un trouble pour certains agents non familiarisés à ces sujets. Enfin, Laurent Olivier propose une dernière piste : afin de systématiser les pratiques, la mise en place d’un Lab d’innovation publique en interne permet d’intégrer à la fois le numérique et la démocratie permanente.
En ce qui concerne la direction de la transformation numérique et citoyenne, il s’agit de la seule direction rattachée à la direction générale des services, au plus haut niveau de l’organigramme. Cela permet d’obtenir des moyens pour porter les projets mais aussi de montrer l’importance du sujet. Laurent Olivier souligne toutefois qu’il faut gagner en légitimité et pour cela il est d’abord nécessaire de travailler en transversalité, c’est-à-dire de développer une offre de services et venir en appui aux directions en apportant une valeur ajoutée. Mais il faut aussi s’autonomiser : la transversalité n’interdit pas d’avoir la capacité de faire des choses en propre ; au contraire, elle permet de pouvoir travailler de concert tout en s’enrichissant pour apporter cette valeur ajoutée.
Enfin, une autre question de légitimité se pose. La Région est, contrairement aux collectivités de plus petite taille qui ont accès à des réseaux et guichets pour faire la liaison avec les habitants, dépourvue de ces outils de contact avec les citoyens. Mais elle peut et même doit se donner les moyens de discuter avec la population. La Région est légitime dans sa démarche car elle a des choses à entendre de la part des usagers, pour améliorer son efficacité et l’efficience des politiques publiques. La démocratie permanente peut alors jouer un rôle par cette liaison de proximité qu’elle installe entre les citoyens. Elle appuie la volonté qu’ont les élus d’affirmer une présence du fait régional sur le territoire, de plus en plus importante compte tenu des compétences toujours plus nombreuses qui sont transférées aux Régions. Dans ce contexte, les outils du numérique, de la démocratie permanente, peuvent aider à mieux faire connaître la politique régionale et à l’améliorer avec les habitants.
La plateforme "Démocratie permanente" de la Région Centre Val de Loire.
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