[Retour d'expérience] Le budget participatif à Angers.
Entretien avec Jacques Boudaud, DGA Angers/ métropole Angers Loire.
La Journée de la civic tech et de l’engagement citoyen, organisée par Décider Ensemble au CESE le 18 mars 2019, en lien avec la conférence internationale TICTeC 2019, a été l’occasion pour les acteurs français de la civic tech et de la participation citoyenne de se retrouver pour collectivement dresser un état des lieux du contexte français. Alors que le Grand Débat National touchait à sa fin, c’était le moment de réaliser un premier bilan de cette expérimentation et de ses déclinaisons dans les territoires. Les 14 temps de la journée ont été consacrés à des thématiques aussi variées que les expérimentations démocratiques au CESE, la civic tech en France et dans le monde, l’inclusion de nouveaux publics et l’éducation au numérique, les formes de l’engagement citoyen, l’accessibilité des plateformes numériques, la civic tech et la transition écologique et solidaire, ou encore les projets numériques citoyens.
Jacques Boudaud, directeur général adjoint de la ville d’Angers, chargé de la proximité, des solidarités et du renouvellement urbain, est intervenu dans le cadre de cette journée pour présenter le budget participatif d’Angers, pour lequel la ville a utilisé l’outil de démocratie numérique Decidim, déployé par Open Source Politics. Cet entretien est issu de son intervention.
En quoi le budget participatif s’insère-t-il dans une démarche plus large visant à donner du pouvoir aux citoyens ?
La stratégie sous-tendant le Budget Participatif de la ville d’Angers repose sur trois axes : les droits et devoirs des citoyens, la certitude que le citoyen peut être un acteur de l’espace public, et enfin de nouveaux modes de gouvernance. Le budget participatif est un outil qui s’inscrit dans une stratégie, comme tout un ensemble d’outils, et qui s’articule donc au reste de l’action de la collectivité.
La gestion du budget est un acte politique essentiel et fondamental de la vie politique de la collectivité. Ainsi, le budget participatif est une manière de donner une part du pouvoir des élus locaux aux citoyens, et d’expliquer les finances publiques de manière pédagogique. Par ailleurs, ce qui intéresse les élus, c’est que les décisions prises à partir de la démarche créent de la valeur à un niveau collectif, et que cela puisse être concrètement observé.
« Nous nous avons nos propres lunettes, mais il existe d’autres personnes qui ont des paires de lunettes qu’il serait intéressant d’emprunter pour essayer de voir la ville autrement et de mettre l’imagination au pouvoir. »
Il s’agit donc d’impliquer les citoyens pour qu’ils prennent ce pouvoir, qu’ils participent à fixer des objectifs communs, tangibles, au-delà de l’entretien des trottoirs. Nous ne sommes plus dans un temps où l’action publique était confisquée. La participation dans des démarches publiques n’est pas innée, mais permet de faire émerger de nouvelles idées, car les techniciens de la collectivité peuvent voir la ville au travers des yeux des habitants.
A Angers, le budget participatif a permis de recueillir 305 propositions, ce qui montre un véritable engouement pour la question, mais aussi que la collectivité peut en retirer bien des avantages pour enrichir ses politiques publiques.
En quoi l’outil numérique rend-il concrets les objectifs attribués à la démarche de budget participatif ?
L’outil numérique est au service de la démocratie participative : il s’agit d’une approche non pas technologique, mais politique et culturelle. D’abord, le choix d’une plateforme open source était un acte politique en soi. En effet, la plateforme Decidim permet un enrichissement collectif au-delà de la ville d’Angers, avec les autres collectivités qui utilisent le logiciel (ce qui n’est pas possible avec les autres logiciels ou prestations fermées). Il arrive que le prestataire ne soit pas d’accord avec les décisions de la collectivité et que cela demande plus de travail, mais c’est bien cela qui permet cet enrichissement collectif.
Par ailleurs, l’usage d’une plateforme apporte plus de flexibilité par la dématérialisation de certaines procédures. Ceci permet de toucher un certain nombre d’habitants n’importe quand et n’importe où, mais aussi d’impliquer des personnes qui sont en général assez éloignées de la vie publique. Pour les jeunes générations, le mot « politique » a une image négative, dont ils se méfient. Or, durant le budget participatif, ces jeunes qui n’avaient jamais voté sont venus et la collectivité a créé pour eux des contenus adaptés.
L’objectif est « d’aller vers » plutôt que d’obliger les citoyens à « se rendre à » : ceci peut recréer une confiance envers la collectivité. La condition centrale est celle de la transparence. Celle-ci demande d’abord que les règles qui régissent le budget participatif soient clairement exposées dès le départ. Le cadre imposé est clairement identifié pour qu’on sache comment déposer son projet et s’il va pouvoir être validé. Cela permet d’éviter les frustrations et incompréhensions, d’ailleurs aucune modération n’est nécessaire ensuite. Tout le processus est public, du débat aux interpellations et aux réponses de la collectivité à ces interpellations. Tous les projets déposés, sans aucune exception, ont reçu une réponse argumentée, qu’elle soit positive ou négative.
Enfin, la plateforme permet aussi de rendre concret l’objectif d’accessibilité : la clé du succès du budget participatif est l’hybridation entre participation présentielle et numérique. Tout en évitant les réunions publiques, très codées, qui créent une distance, il faut penser aux lieux de rencontre. Des moyens importants y ont été consacrés : 22 lieux de vote, 3 week-ends et presque un mois de campagne durant lesquels 155 créneaux de rencontre ont été proposés partout dans la ville sous l’appellation « la caravane du budget participatif ». La communication dans le cadre de ce dispositif a d’ailleurs été primée par Cap’Com 2018 (plus d’informations dans cet article).
Quelles leçons peut-on tirer de ce processus ?
Si l’on fait le bilan de ce processus de démocratie participative, un premier résultat est que le projet de faire participer au budget a gagné en crédibilité, car toutes les idées ont été soutenues par les citoyens qui les ont proposées. Ensuite, les citoyens ont gagné en autonomie : ils ont été outillés par certains ateliers et ont appris à défendre leurs projets avec une grande liberté de création de leurs propres contenus. Il y a donc eu une très grande diversité des participations, avec une présence importante à la fois sur la plateforme numérique et en présentiel.
Plus largement, loin d’être l’ennemie de la démocratie représentative, la démocratie participative est née à Angers de l’initiative des élus. Ce sont eux qui ont voté pour partager la décision sur le budget - en instaurant un budget participatif d’1 million d’euros - et aboutir à une coproduction des politiques publiques. La frontière entre public et privé (au sens des citoyens) est donc en train de s’effacer. Le budget participatif est une petite partie de cette conception ouverte de l’action publique. C’est une solution bien plus politique que technologique : elle est le signe d’une confiance accordée aux élus, qui s’engagent à mettre en œuvre ce qui a été voté, mais aussi de la reconnaissance de l’intérêt des propositions faites par les citoyens.
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