[Retour d'expérience] Grand débat à Rueil-Malmaison

L’apport du « Grand Débat » à la démocratie participative et à la civic tech, par Julien Joxe, Directeur des marchés francophones France et Belgique à Citizen Lab

La Journée de la civic tech et de l’engagement citoyen, organisée par Décider Ensemble au CESE le 18 mars 2019, en lien avec la conférence internationale TICTeC 2019, a été l’occasion pour les acteurs français de la civic tech et de la participation citoyenne de se retrouver pour collectivement dresser un état des lieux du contexte français. Alors que le Grand Débat National touchait à sa fin, c’était le moment de réaliser un premier bilan de cette expérimentation et de ses déclinaisons dans les territoires. Les 14 temps de la journée ont été consacrés à des thématiques aussi variées que les expérimentations démocratiques au CESE, la civic tech en France et dans le monde, l’inclusion de nouveaux publics et l’éducation au numérique, les formes de l’engagement citoyen, l’accessibilité des plateformes numériques, la civic tech et la transition écologique et solidaire, ou encore les projets numériques citoyens.

Citizen Lab est une civic tech bruxelloise créée en 2015 qui propose une plateforme numérique en Saas aux collectivités. La plateforme est déployée en marque blanche (c’est-à-dire qu’elle est personnalisée selon la charte graphique et les besoins de la collectivité) et mise à jour mensuellement en fonction des demandes des collectivités clientes. Citizen Lab travaille avec de nombreuses villes dans le monde comme Vancouver, Bruxelles, La Haye, le parlement sud-africain, mais aussi avec des collectifs citoyens comme Youth for Climate. L’entreprise compte plus de 100 collectivités clientes à travers le monde, et s’est lancée sur le marché français en juillet 2018. La première collectivité à avoir utilisé l’outil est Rueil Malmaison, pour qui l’entreprise a produit la plateforme numérique « J’aime Rueil, je participe ». Créée avant le Grand Débat, la plateforme a cependant joué un rôle spécifique pour permettre la participation de la collectivité à ce dispositif national.

Le Grand Débat : entre inquiétudes et opportunités pour la civic tech

Julien Joxe a souligné son inquiétude initiale concernant le Grand Débat, qui était pour lui une initiative intéressante, mais qui montrait dans sa conception des manquements en termes de méthodologie. Le manque d’ouverture des débats, limités à seulement quatre thématiques, était particulièrement à regretter. Julien Joxe a aussi souligné son scepticisme vis-à-vis de la démocratie participative à l’échelle nationale, alors qu’il était convaincu de ses bienfaits au niveau local. Selon lui, ces démarches obtiennent des résultats beaucoup plus tangibles et concrets. Il avait donc des appréhensions concernant le Grand Débat, qui risquait de produire des effets négatifs si les résultats n’étaient pas à la hauteur des attentes.

Il a cependant soutenu que dans la civic tech, les acteurs apprennent par la pratique, et qu’ils n’ont pas de réponses préfabriquées : ils avancent au fur et à mesure, améliorant leurs activités dans le temps. Ici, le Grand Débat a été une opportunité intéressante et les résultats permettent de tirer certaines leçons.

En effet, la plateforme de Citizen Lab, « J’aime Rueil je participe » a été mise à profit dans ce contexte, avec une volonté affichée d’être une « prolongation » du Grand Débat et d’y apporter un ancrage plus local. L’objectif premier était de travailler sur des enquêtes et de la consultation, avant d’aller vers un véritable processus d’idéation, de co-construction pour enrichir l’action publique et favoriser l’émergence de nouveaux projets en plaçant les habitants de la ville au cœur de la démarche.

Résultats du Grand Débat façon Rueil Malmaison

Le processus mis en place à Rueil respectait les règles préétablies par le Grand Débat. La consultation s’est déroulée entre le 15 janvier et le 15 mars autour des quatre grandes thématiques proposées par le gouvernement. La plateforme a permis de récolter 1353 contributions et 4680 votes qui devaient être transmises au gouvernement pour alimenter le Grand Débat.

C’était une première pour Rueil. Les précédents usages de la plateforme numérique s’apparentaient uniquement à des enquêtes, et il s’est agi ici d’une réussite en termes de co-construction des idées. Le pic de contributions est dû en grande partie à toute la communication qu’il y a eu autour du Grand Débat, et qui est nécessaire pour faire connaître ces plateformes de démocratie participative. Il faut une campagne de communication bien rodée et « multicanal » - bulletins municipaux, réseaux sociaux, presse locale, bouche-à-oreille, etc. – pour que le citoyen ait conscience de l’intérêt de ces outils et les utilise.

Il faut ajouter à cela l’importance de combiner le numérique avec une présence hors-ligne. Une plateforme numérique en soi, isolée et non hybridée par du présentiel, risque de ne pas apporter grand-chose. A Rueil Malmaison, la plateforme en ligne indiquait les différentes options de participation existantes, comme les ateliers citoyens, les consultations papier etc. La plateforme est venue en complément d’autres formes de participation en présentiel, durant lesquelles il est apparu important de faire parler de la plateforme numérique.

Toutefois, l’avantage de la plateforme numérique est de pouvoir traiter les données de façon efficace, avec une technologie appelée le TAL – Traitement automatique des langues – qui permet de faire une analyse sémantique des idées et produire des « clusters », ou des ensembles d’idées. L’un des ensembles qui est ressorti de la plateforme de Rueil Malmaison concerne la nécessité de la transition écologique. La liste des idées qui sont sorties de ce Grand Débat local restent disponibles sur la plateforme.

Enfin, contrairement aux inquiétudes que crée internet, en particulier chez les élus, les plateformes de démocratie participative mises en place par Citizen Lab montrent que les citoyens font preuve de bienveillance et adoptent un ton avenant lors de leurs échanges numériques, même s’ils peuvent être critiques à l’égard de certaines idées.

En définitive, le Grand Débat est arrivé de manière opportune pour la commune de Rueil Malmaison, qui avait la volonté de développer différentes actions participatives. Ils ont obtenu un boost de la participation sur la plateforme et, plus important encore, les citoyens ayant participé par ce biais-là restent actifs et connectés. Il est ainsi possible pour Citizen Lab et pour la collectivité de les recontacter pour d’autres processus de participation à Rueil, comme les ateliers citoyens et les budgets participatifs annuels. Ce Grand Débat aura eu le mérite de faire parler au niveau local des initiatives participatives, et augure du positif pour l’avenir.