Les assemblées citoyennes en Irlande
Alors que la clôture du Grand débat national vient de se finir, une proposition originale semble convaincre de plus en plus : l’instauration d’une assemblée citoyenne tirée au sort. Reprise par beaucoup, elle pourrait même être mise en place par Emmanuel MACRON afin de dégager des mesures concrètes en faveur de la transition écologique dès le mois de mai.
Dans une tribune publiée en novembre dernier (1), Décider ensemble appelait déjà à la création d’une telle instance pour renouveler le dialogue autour de la transition écologique. Mais d’où vient cette idée d’assemblée citoyenne ? Pourquoi parle-t-on tant de l’exemple irlandais ? Cette note a pour objet de revenir sur les expériences d’assemblées citoyennes irlandaises et sur la récente initiative de la Communauté germanophone de Belgique qui a doté son Parlement d’une telle instance.
La Convention constitutionnelle de 2012
Des citoyens pour moderniser la Constitution
En 2011, chercheurs et activistes, sous la bannière We The Citizens, se rassemblent pour réclamer une réforme constitutionnelle. Deux raisons sous-tendent à cette demande :
- La Constitution irlandaise date de 1937 et ne prend pas en compte certaines évolutions sociétales.
- Elle est empreinte du poids que l’Église peut avoir sur l’État.
A titre d’exemple, la Constitution dispose que « par sa vie au foyer, la femme apporte à l’État un soutien sans lequel le bien commun ne peut être atteint », empêchant une égalité véritable.
Ils expérimentent une assemblée citoyenne informelle pour mener à bien ce travail. La volonté de We The Citizens est de renforcer la légitimité démocratique, mise à mal par la crise financière de 2008, et d’ouvrir de nouvelles pratiques par la délibération.
Le Gouvernement d’Enda KENNY, Premier ministre d’Irlande, initie alors, en 2012, The Convention of the Constitution (2) : une assemblée majoritairement citoyenne (66 citoyens tirés au sort et 33 élus) pour moderniser la Constitution.
Cette instance est inspirée de plusieurs expériences : les assemblées citoyennes sur les réformes électorales des provinces canadiennes de Colombie-Britannique, d’Ontario et des Pays-Bas, organisées respectivement en 2004, 2007 et 2006.
Il faut souligner le fait que l’Irlande dispose d’un cadre législatif contraignant : à chaque révision constitutionnelle, un référendum doit être organisé. En consultant une partie de sa population en amont, le Gouvernement anticipe une certaine réussite lors d’un éventuel référendum. Enfin, le Gouvernement est constitué d’une coalition qui n’arrive pas à se mettre d’accord sur un certain nombre de points : en les soumettant à une instance citoyenne, ils évitent les disensus internes.
Les modalités de fonctionnement de la Convention constitutionnelle
Huit articles à réformer
L’objectif de la convention constitutionnelle est d’élaborer des recommandations sur huit articles de la Constitution préalablement choisis par le Gouvernement :
- Le mariage entre personnes de même sexe,
- La durée du mandat présidentiel,
- L’âge de la majorité électorale,
- L’alignement de l’élection présidentielle avec les élections locales et européennes,
- Le droit des citoyens irlandais de voter dans une ambassade irlandaise pour les élections présidentielles,
- La révision du code électoral,
- La question de la place de la Femme dans la société,
- Le délit de blasphème.
La méthodologie
Elle se réunit sur dix week-ends et auditionne des experts qui informent les citoyens et élus participants. A la suite de ces auditions, ils délibèrent et rendent un avis au Gouvernement. La seule obligation qui pèse sur ce dernier est une obligation de réponse dans un délai de quatre mois : il n’est pas lié par les recommandations émises et doit simplement signifier comment il compte les prendre en compte (lui laissant ainsi la possibilité de ne pas s’en servir).
La finalité de la Convention constitutionnelle
Un dialogue s’est instauré entre la Convention et le Gouvernement :
- Une série de référendums a suivi, le plus marquant étant celui sur le mariage entre personnes du même sexe (3).
- Certaines recommandations ont été débattues au Parlement.
- D’autres ont été directement intégrées à la législation.
L'Irish Citizens' Assembly de 2016
Reconduire l’expérience avec une assemblée exclusivement citoyenne
L’expérience étant un succès, elle est renouvelée en 2016 avec une assemblée exclusivement citoyenne cette fois-ci : l’Irish Citizens’ Assembly présidée par la juge de la Cour suprême Mary LAFFOY. Elle se réunit douze fois entre 2016 et 2018 pour émettre des avis au Gouvernement, sur cinq enjeux sociétaux prédéfinis par ce dernier :
- La légalisation de l’avortement,
- Le vieillissement de la population,
- Le réchauffement climatique,
- Les référendums,
- La réforme du Parlement.
Les citoyens sont tirés au sort selon une méthode garantissant une représentativité de la société. Ils bénéficient d’interventions d’experts pour les informer. Une plateforme numérique est mise en place pour récolter des propositions et témoignages de citoyens, qui nourrissent les débats.
La finalité de l’Irish Citizens’ Assembly : l’exemple du droit à l’avortement
A l’instar de la Convention constitutionnelle, les recommandations sont soumises au Gouvernement qui précise les suites qu’il y donnera. La question la plus sensible est celle du droit à l’avortement.
Depuis 1983, la Constitution irlandaise restreint fortement le recours à l’avortement : aucun motif ne le justifie. Les Nations Unies qualifie cette législation de violation des droits humains en 2017. C’est pourquoi le Gouvernement décide de soumettre cette question à l’Irish Citizens’ Assembly qui recommande une légalisation de l’avortement.
Une forte mobilisation citoyenne pousse le Gouvernement à organiser un référendum qui débouche sur la reconnaissance du droit à l’avortement avec plus de 65% de voix favorables et une participation historique.
Des observateurs soulignent les vertus de ce processus délibératif sur des questions sociétales sensibles. Les professionnels de la politique ont tendance à éviter de se prononcer sur des sujets clivants, ce qui n’est pas le cas de citoyens ordinaires.
Belgique : la communauté germanophone se dote d’une assemblée citoyenne permanente
Les prémices d’une assemblées citoyenne permanente : le G1000
En 2011, l’écrivain belge David VAN REYBROUCK souhaite revivifier la parole citoyenne pour répondre aux maux de la démocratie représentative traditionnelle. Avec un groupe de bénévoles, ils imaginent un grand processus de délibération citoyenne qu’ils appelleront le « G1000 ».
Ils organisent une consultation en ligne afin de recueillir les préoccupations majeures des citoyens. Un sommet de mille citoyens tirés au sort est constitué afin de discuter des propositions qui ressortent de cette première étape. Par groupe restreint, ils les travaillent pour les consolider dans un rapport transmis au Parlement belge.
Même si ces propositions n’ont pas été suivies de débouchées formelles, elles ont mis en lumière la qualité et la force de choix délibérés. Aujourd’hui, la Communauté germanophone belge se dote d’une assemblée citoyenne permanente, avec l’aide des organisateurs du G1000.
Une assemblée citoyenne permanente : une première en Europe
Le Parlement germanophone (4) a institué par décret une participation citoyenne renforcée instituant une nouvelle modalité démocratique : à partir de septembre prochain, pour la première fois en Europe, le Parlement germanophone sera en permanence assisté d’un conseil citoyen composé d’individus tirés au sort pour émettre des recommandations. L’objectif étant de contrer la crise de la représentation que connaît la Belgique.
Concrètement, il est mis en place un conseil composé de 24 citoyens tirés au sort (le Parlement germanophone compte 25 députés) avec des exigences de genre, d’âge ou encore de niveau d’éducation. Ils siègeront aux côtés du Parlement pendant 18 mois. Ils devront déterminer des thématiques précises, sur lesquelles l’assemblée citoyenne travaillera.
Cette assemblée citoyenne, la Bürgerversammlungen, est le cœur du système : composée de 25 à 50 citoyens, c’est eux qui formuleront des propositions au Parlement germanophone. Si celles-ci reçoivent un certain nombre de votes, il s’engage à se saisir du sujet, ou du moins, à justifier son refus de donner suite.
Cette initiative est la première du type en Europe. La Communauté germanophone de Belgique accueille plus de 75 000 habitants mais dispose de pouvoirs particulièrement importants, comparables à la communauté de la Catalogne. Ce dialogue citoyen permanant renforce la participation citoyenne, améliore la compréhension du processus de décision et renforce les institutions démocratiques.
(1) « Réinventons le dialogue autour de la transition écologique ! », Pascal CANFIN, Valérie MASSON-DELMOTTE et Matthieu ORPHELIN.
(2) La convention constitutionnelle.
(3) Le 22 mai 2015, les électeurs irlandais se sont prononcés à 62% pour l’adoption du 34e amendement de la Constitution qui légalise le mariage pour personnes de même sexe.
(4) La Communauté germanophone est la 3e communauté du Royaume de Belgique après la Communauté française et la Communauté flamande. Elle rassemble plus de 75 000 citoyens et est dotée, à l’instar des deux autres, de son propre gouvernement et Parlement.
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