Note de cadrage sur la révision constitutionnelle
Lenteur administrative, instabilité législative, désenchantement, défiance… Le système démocratique actuel traverse une crise de la représentation et de la confiance. Face à un Etat omnipotent et insaisissable, les citoyens demeurent attentistes et sceptiques. Pierre Rosanvallon évoque un « mal-gouvernement », c’est-à-dire un gouvernement dont les actions ne répondent pas à des règles de transparence, d’exercice de la responsabilité, de réactivité ou d’écoute des citoyens clairement établies. A travers la révision constitutionnelle annoncée le 3 juillet 2017, l’exécutif entend redynamiser la vie démocratique et assurer une meilleure représentativité des institutions. La révision constituerait-elle pour autant une étape dans l’établissement d’un « bon gouvernement » ?
La révision constitutionnelle : une réponse institutionnelle pour un renouveau démocratique ?
Les propositions de l’exécutif pour la refondation de la Ve République portent d’abord sur une modernisation des institutions : le gouvernement entend redynamiser la vie démocratique à travers une réduction d’un tiers du nombre de députés et de sénateurs, et de moitié du nombre de membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ; une augmentation des moyens alloués au Parlement et une plus grande liberté d’administration pour les collectivités territoriales. Le gouvernement souhaite également une accélération de la procédure d’élaboration des lois, en restreignant le droit d’amendement. Il aspire par ailleurs à un renouvellement de la représentation politique, qui passerait notamment par une restriction du cumul des mandats, un renforcement de la parité, l’introduction d’une dose de proportionnelle et une réforme du Conseil économique, social et environnemental, appelé à devenir la « Chambre de la participation citoyenne ».
Bien que le Sénat se soit montré critique à l’égard des modalités de réduction du nombre de parlementaires, la dose de proportionnelle, la limitation des mandats dans le temps et la restriction du droit d’amendement, les propositions de réforme étayées par l’exécutif ont généralement été soutenues par les trois chambres. Toutefois, ces propositions demeurent d’ordre institutionnel, et elles ne remettent pas en cause le rapport que le corps social entretient avec le pouvoir et avec la décision. Or, le caractère dysfonctionnel du système démocratique actuel pourrait tenir en grande partie à cette relation, caractérisée par une opposition entre des citoyens désabusés face à la puissance publique et un Etat omnipotent.
Gouvernés et gouvernants : une relation asymétrique qui nuit à la démocratie
Dans la composition actuelle, les gouvernés sont sceptiques vis-à-vis de l’exercice du pouvoir et ils conservent une logique de contestation et de soumission. Désenchantés, ils ont peu confiance dans la personne du politique et remettent régulièrement en doute la bienveillance des décisions publiques. D’après le Baromètre de la confiance du centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en décembre 2017, 76% des Français éprouvaient un sentiment négatif à l’égard de la politique, évoquant en premier lieu « la méfiance » (39%), puis « le dégoût » (25%).
Dans le même temps, les citoyens entretiennent un culte de la loi, concevant l’action publique comme le fruit d’un processus législatif insaisissable, dont ils se trouvent exclus. Ce sentiment d’exclusion de la vie publique expliquerait leur désintéressement pour les élections, dont témoigne un taux d’abstention qui ne cesse d’augmenter au fil des années. Néanmoins, il pourrait être également à l’origine de la normalisation récente de mouvements citoyens, comme le Chant des Colibris ou encore Nuit debout, dont la vocation est de représenter la parole citoyenne et de valoriser les initiatives portées à l’échelle locale par la société.
De leur côté, les gouvernants portent un regard souverain sur les citoyens : ces derniers sont perçus comme un ensemble d’individus désengagés qu’il importe de séduire en vue des élections, et non comme des acteurs qu’il conviendrait de concerter dans le cadre du processus décisionnel. Les gouvernants sont ainsi guidés par une logique dirigiste, électoraliste et court-termiste, au détriment des grands enjeux de durabilité et des réformes à mener. Le manque de prospective et de planification des décideurs engendre des retards dans l’application des lois, des incohérences dans le processus décisionnel et un manque d’imbrication des politiques publiques au fil des quinquennats.
C’est par ailleurs le centralisme jacobin de l’Etat qui nuit à la mise en œuvre de projets de long-terme. Omnipotent et omniprésent, l’Etat concentre le pouvoir et les moyens, au détriment d’initiatives locales qui pourraient porter efficacement et durablement la vision d’avenir suggérée par l’exécutif. La difficulté à faire appliquer la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), adoptée en 2015, illustre à bien des égards la logique verticale, centraliste et court-termiste qui caractérise le processus décisionnel : alors que la LTECV devait donner aux régions et aux collectivités un rôle moteur dans la transition énergétique, celles-ci peinent à prendre leur place dans cette mutation, faute de moyens. Le centralisme de l’Etat contribue ainsi à entretenir la défiance des collectivités territoriales et de la société civile organisée vis-à-vis du gouvernement, alors que ces acteurs pourraient constituer des leviers d’action dans la mise en œuvre efficace et adaptée de politiques publiques de long-terme.
Gouvernés et gouvernants entretiennent donc une relation asymétrique, avec d’une part des citoyens et une société civile désabusés vis-à-vis de l’Etat et en quête de moyens non-institutionnels pour se faire entendre et participer à des changements sociétaux durables, et d’autre part un Etat omnipotent, insaisissable, guidé par une logique électoraliste et court-termiste. La révision constitutionnelle annoncée par l’exécutif ne contribuera à un renouveau démocratique que si elle permet à ce rapport d’évoluer.
Pour une gouvernance plus transparente, décentralisée et transversale
Le renouvellement de la relation entre les citoyens, la société civile et l’Etat implique d’abord un exercice du pouvoir plus transparent. L’exécutif pourrait être tenu d’annoncer clairement sa stratégie et sa feuille de route devant le Congrès et le CESE, en particulier pour les projets portant sur le long-terme. Par ailleurs, la visibilité et la stabilité de la production législative pourraient être renforcées, par la création d’une commission permanente en charge de la stratégie, de la prospective et du long-terme au sein du Parlement par exemple. La fonction de contrôle et d’évaluation du Parlement pourrait aussi être renforcée et rendue plus visible, en vue d’assurer l’application effective des lois adoptées. En outre, de telles mesures nécessiteraient une augmentation des moyens alloués aux activités parlementaires. Enfin, les activités des collectivités locales pourraient être également rendues plus transparentes, à travers une démocratisation des institutions locales et de leurs pratiques. Autant de mesures contribueraient à rompre avec la logique court-termiste de la puissance publique, à responsabiliser les institutions de l’Etat et à désacraliser le pouvoir. La confiance des citoyens dans l’Etat ne s’en trouverait que renforcée.
Le renouvellement de la relation que les citoyens et la société civile entretiennent avec le pouvoir implique par ailleurs une décentralisation de la puissance publique. Cette décentralisation doit s’opérer selon le principe de subsidiarité, d’après lequel l’Etat central n’effectue que les missions qui ne pourraient pas être réalisées à un échelon inférieur. Une telle conception de la décentralisation pourrait d’abord se traduire par une délégation de compétences, notamment législatives, réglementaires et fiscales, et une redistribution de moyens aux collectivités et aux acteurs de la société civile, pour une action publique plus ciblée et mieux adaptée aux réalités de terrain. Les collectivités locales et acteurs de terrain sont en effet plus à même de porter efficacement une action territoriale durable que les institutions nationales, dont la stratégie est parfois inadaptée aux réalités locales et tend à varier au fil des mandats. L’Etat, quant à lui, pourrait se contenter d’être le garant d’une stratégie de développement équilibrée, fondée sur une vision collective. En responsabilisant les collectivités locales et la société civile, une politique de décentralisation menée selon le principe de subsidiarité rendrait non seulement l’action publique plus durable et plus efficace, mais elle contribuerait également à rétablir une relation de confiance entre l’Etat, les collectivités et les acteurs locaux.
La transformation du rapport des citoyens et de la société civile avec le pouvoir passerait enfin par la mise en place d’un processus décisionnel plus transversal, s’appuyant de fait sur l’aspiration de la société à participer au fonctionnement des institutions et à la prise de décision. En effet, si des outils participatifs existent déjà pour porter la voix des citoyens et de la société civile au niveau des institutions de l’Etat, leur usage demeure encore limité dû aux contraintes qu’ils imposent, et le pouvoir continue d’être exercé de manière verticale. L’établissement d’un processus décisionnel plus transversal implique donc que le schéma institutionnel centralisé s’ouvre aux représentants de la société civile organisée, à travers une intégration systématique du CESE dans la prise de décision par exemple. Il implique aussi que l’Etat encourage davantage les porteurs d’initiatives locales dans leurs actions, à travers un soutien financier, logistique financier et/ou humain accru. L’Etat pourrait également mieux reconnaître l’engagement citoyen, essentiel à la vie de la Cité, en établissant par exemple un statut du citoyen engagé octroyant des droits spécifiques. Enfin, la puissance publique pourrait faciliter l’intervention citoyenne à travers la mise en place d’outils consultatifs à la fois accessibles à l’ensemble des citoyens et effectivement consultés par les décideurs publics. De tels changements ne se feraient cependant pas sans le développement d’une culture de concertation au sein des institutions de l’Etat.
La révision constitutionnelle prévue ne contribuera donc à l’établissement d’un « bon gouvernement » que si elle permet à la relation entre gouvernés et gouvernants d’évoluer. Si le projet de révision doit apporter des réformes d’ordre institutionnel, il doit aussi intégrer des mesures qui pourront effectivement rétablir la confiance et promouvoir une culture de la responsabilité au sein de la société et des institutions, et ce à travers un exercice du pouvoir plus transparent et décentralisé et un processus décisionnel plus transversal.
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